Le Pays des Enclos

Le Pays des Enclos

Enclos de Dirinon

Dans l’univers très masculin des saints celtiques, l’Irlandaise sainte Nonne fait un peu exception. Son culte est répandu outre-Manche, mais en Bretagne, Dirinon en détient le quasi-monopole. La chapelle jouxtant l’église (1577) conserve en effet un gisant du milieu du 15e siècle, au beau visage plein de sérénité. Il passe à tort pour le tombeau de la sainte mais la paroisse n’en détient pas moins ses reliques, dans une châsse en argent de la même époque (v. 1450). En dehors du bourg, sainte Nonne a aussi sa très belle fontaine (1623) et, non loin de là, une pierre qui est l’objet d’un culte vivace. Sainte Nonne a également inspiré un « mystère » de près de 3 000 vers bretons qui fut probablement écrit et joué ici à la fin du 16e siècle : la Buez santes Nonn hac ez map Deuy (Vie de sainte Nonne et de son fils Divy). Novice dans une abbaye irlandaise, Nonne est violée par un prince, Kérétic. Elle se retire alors à Dirinon dans un bois de chêne (Diri Nonn ?) où elle donne le jour à un fils, saint Divy. Le document, conservé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale, est d’un intérêt linguistique et historique exceptionnel. C’est à cette époque aussi que fut construit l’enclos, à la faveur de la prospérité toilière et du mécénat de familles nobles qui ont laissé leurs armes, par exemple sur le calvaire à dais (15e s.). Si Dirinon relève de l’évêché de Quimper, bien des traits la rattachent au Léon, à commencer par son clocher à double galerie (1588) qui dispute à La Roche-Maurice la paternité du modèle. L’église fut construite dans la foulée, avec son porche flanqué d’un petit ossuaire d’attache aux baies rectangulaires (1618). Au début du 18e siècle, elle fut agrandie d’un chœur et d’un transept plus élevés que la nef. C’est alors sans doute que la voûte lambrissée reçut des peintures uniques dans le secteur : saints et saintes, évangélistes et docteurs conduisent le regard vers le Jugement dernier.

Enclos de La Martyre

L’ancêtre des grands clochers (14e s., sur des fondements plus anciens), l’aînée des portes triomphales (vers 1450), l’ancienneté inhabituelle du porche (milieu du 15e s.), les peintures murales de la nef… L’enclos de La Martyre nous fait remonter aux origines médiévales des «grands enclos». Pourquoi une telle précocité ? Peut-être parce que nous sommes dans un «lieu de mémoire» : celui du martyre du roi Salomon de Bretagne (874) dont l’église conserve les reliques. Mais surtout parce que s’est développée ici une foire de rayonnement international jusqu’au 17e siècle. Chaque mois de juillet, le bourg attire des marchands venus de tout l’Ouest mais aussi de Flandres, d’Angleterre sinon d’ailleurs. La grande verrière du chœur ne s’inspire-t-elle pas d’une œuvre d’un graveur allemand, Iost de Necker, dont le verrier a reproduit fidèlement la signature ? A partir du 14e siècle, les revenus de la foire, le mécénat conjoint des ducs de Bretagne et des Rohan autorisent des réalisations ambitieuses : le clocher s’inspire des flèches de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon. Le porche, que l’usure du temps et les restes de polychromie rendent particulièrement émouvant, est riche de détails d’une grande finesse : le sourire de la Vierge couchée du tympan, mais aussi cet ange annonçant la naissance du Christ aux bergers, dont l’un joue de la crosse… Et pourtant, l’intérieur du porche réserve la surprise d’un bénitier où l’Ankou armé d’un dard – la Mort – emporte la tête d’un jeune homme. L’objet provient de l’ossuaire voisin (1619) et il en illustre la leçon, inscrite en breton sur la sombre et belle façade Renaissance : «La mort, le jugement, l’Enfer froid, quand l’homme y songe, il doit trembler». Après le sourire du Moyen Age, les angoisses du 17e siècle… à condition de ne pas oublier que l’intérieur de l’église vient compléter le message : les couleurs (vitraux et retables) et les dorures veulent évoquer, de manière anticipée, les splendeurs de l’Au-delà.

Enclos de Landerneau - Saint-Thomas

Situé à un carrefour de routes menant à Quimper, point de passage obligé entre les diocèses de Léon et de Cornouaille l’enclos paroissial de St Thomas a, depuis le XIXè siècle, perdu son aspect initial et nous n’en avons aucune représentation. De l’enclos initial il ne reste plus que l’église et l’ossuaire, son démantèlement ayant eu lieu au XIXè siècle, notamment lors du transfert du cimetière vers l’extérieur de la ville. Un mur d’enceinte délimitant l’espace sacré devait ceinturer le cimetière et comme dans tout enclos un calvaire devait le dominer. Canonisé en 1173 après son martyr Thomas Beckett archevêque de Cantorbery est le patron de l’église, choisi par son fondateur Hervé Ier, seigneur de Léon, marquant ainsi sa volonté d’affirmer son indépendance vis à vis des velléités de domination anglaise sur le duché de Bretagne. Avec une église primitive mentionnée au XIIIè siècle, l’église telle que nous pouvons la voir aujourd’hui a été reconstruite à partir du XVIè siècle avec un clocher renaissance commencé en 1607 et reconstruit à l’identique en 1847. L’église comprend une nef de cinq travées avec bas-côtés, une chapelle et une sacristie au sud de la dernière travée occupée par un choeur à chevet plat. Dans le porche une seule statue, celle de saint François d’Assise en habit de Cordelier avec au bas de sa tunique un écu de marchand comportant une initiale, sans doute celle du négociant et généreux donateur. L’ossuaire Saint-Cadou, bâti comme il se doit à l’ouest de l’église est le deuxième élément de cet ensemble. Daté de 1635, il a commencé à servir d’habitation au XIXè siècle.

Enclos de La Roche Maurice

Au pied du château qui fut celui des vicomtes de Léon puis des Rohan, l’enclos de La Roche-Maurice occupe une situation originale, en contrebas du bourg. Au-delà de l’église, la descente escarpée continue vers la rivière – l’Elorn – par où sont venues les pierres de la rade de Brest – pierre jaune de Logonna-Daoulas et kersanton – que le soleil fait violemment contraster au pignon de l’ossuaire. A plusieurs reprises, l’enclos de La Roche-Maurice a fait des choix qui ont influé de façon décisive sur l’art religieux de la région. C’est ici qu’a été inventé, vers 1589-1590, le clocher dit « léonard » : une flèche élancée reposant sur une chambre des cloches à deux étages et deux galeries. La Roche-Maurice invente la version gothique (une flèche) exactement au moment où Berven conçoit la version Renaissance (un dôme). L’une et l’autre se partageront les faveurs d’un grand nombre d’églises de la région durant trois siècles. Même souci d’innovation un demi-siècle plus tard, avec l’ossuaire de 1639-1640 : de sobres colonnes corinthiennes remplacent les cariatides en vogue depuis Kerjean, Bodilis ou Sizun. A la variété et à la fantaisie, La Roche préfère une impeccable pureté de lignes, classique avant l’heure… mais assez bien accordée à la sévérité du message : « Je vous tue tous », clame l’Ankou du bénitier de gauche aux différents personnages de l’étage inférieur. Point de grand porche ici, sans doute en raison des contraintes du site. La Renaissance ne fait donc qu’effleurer le portail de kersanton donnant accès à l’église. Mais c’est pour éclater plus librement dans l’église : sablières aux riches détails (labour, convoi funèbre, lutteurs, musiciens…), magnifique jubé polychrome des années 1580, verrière de la Passion aux armes des Rohan, œuvre probable des ateliers quimpérois (1539). Au chœur, saint Yves rend justice, entouré de ses plaideurs. Faut-il s’étonner qu’un tel décor ait dispensé de céder aux retables du siècle suivant ?

Enclos de Le Tréhou

« An Trevou-Leon » dit-on en breton, pour le distinguer du Trévoux de Cornouaille. Peut-être aussi pour affirmer l’appartenance léonarde de cet enclos frontalier, qui par deux côtés (sud et ouest) touche à la Cornouaille. Et à qui en douterait encore, la tradition assure que sainte Pitère, patronne des lieux, était sœur de saint Suliau (Sizun), saint Thiviziau (Landivisiau) et saint Miliau (Guimiliau). Et pourtant, un signe rapproche déjà l’enclos du Tréhou de ses voisins cornouaillais : la fréquence de la pierre jaune de Logonna, une microdiorite quartzique d’aspect veiné que l’on extrait au promontoire du Roz en Logonna-Daoulas. Son emploi, en association fréquente avec le kersanton de la rade de Brest, caractérise la région située entre Landerneau et Daoulas. Le calvaire du Tréhou (1578) en est un bon exemple : d’allure très proche de celui de Locmélar, il y ajoute néanmoins Marie-Madeleine et les Douze apôtres sculptés en bas-relief sur le socle. La pierre de Logonna, on la retrouve dans l’élégant clocher à dôme (1649), tout comme dans le porche où elle alterne avec le beige du granit local et le gris foncé des statues en kersanton. Dans la niche du tympan, sainte Pitère arbore la palme du martyre : son père la fit égorger au motif qu’elle refusait le mari qu’il lui destinait. A l’intérieur du porche, plusieurs statues portent les initiales de leurs donateurs : parmi elles, un Christ et quatre apôtres de Roland Doré, dont un saint Mathieu qui porte curieusement l’équerre dévolue normalement à saint Thomas. A la base de la voûte, une sablière datée de 1610 figure les instruments de la Passion. L’intérieur de l’église renferme une verrière de la Passion, deux retables du 17e siècle et plusieurs statues anciennes. Sur une sablière, un laboureur pousse une puissante charrue à roues. Derrière lui, un autre paysan fait les semailles… A l’angle extérieur de la sacristie, un noble dégaine son épée : figure plus originale que les dragons habituels en ce type d’endroit.

Enclos de Loc-Eguiner-Saint-Thégonnec

A l’origine de beaucoup de nos enclos, il y eut de simples chapelles qui desservaient quelques « villages » (ainsi appelle-t-on en Bretagne les hameaux distincts du bourg). Au cours du Moyen Âge ou des 16e-17e siècles, un certain nombre d’entre elles devinrent des paroisses dans des conditions que nous connaissons souvent très mal. Tel n’est pas le cas de Loc-Eguiner Saint-Thégonnec, dont la promotion est plus récente. Jusqu’au milieu du 19e siècle, il n’y eut ici qu’une chapelle dépendant de Plounéour-Ménez : un loc (locus = lieu) dédié à saint Eguiner, dont la fontaine est située en contrebas. A ses côtés, une seconde fontaine, dédiée à saint Jean-Baptiste, témoigne peut-être de la présence des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le bourg paroissial était loin – sept longs kilomètres – surtout en hiver. C’est pourquoi les habitants des environs préféraient fréquenter cette chapelle, dont les parties les plus anciennes remontent au 16e siècle. Au fil du temps, elle devient plus autonome : à la veille de la Révolution, elle est gérée par deux trésoriers laïcs (ceux de 1736 ont laissé leur nom sur le pignon de la nef nord). Un chapelain réside sur place, dit la messe et tient même une petite école. Des enterrements y sont célébrés, car il y a un cimetière, mais ce n’est pas le cas des baptêmes et des mariages : seule l’action tenace des habitants permettra de l’obtenir, dans le cadre de la paroisse (1844), puis de la commune (1866). Avec son simple clocheton, l’église garde des allures de chapelle, de bonne dimension toutefois puisqu’elle juxtapose deux nefs de construction très soignée. Son calvaire du 16e siècle s’est enrichi au siècle suivant d’un Christ de Roland Doré. Mais la pierre la plus vénérable est la borne milliaire romaine visible au nord de l’église. Provenant de la voie Carhaix/Aber Wrac’h qui passe à proximité du bourg, elle a été surmontée d’une croix ancienne et transférée dans l’enclos en 1948.

Enclos de Pencran

Dans une région qui a largement succombé aux séductions de la Renaissance puis du baroque, Pencran offre une église gothique encore proche de la chapelle que les habitants ont voulu reconstruire en 1553 « en l’honneur de Dieu, de la Vierge et de sainte Apolline » comme on peut le lire sur le porche. Un volume simple, une nef et ses bas-côtés, sans chapelles adjacentes ; un chevet plat comme on les conçoit à la fin du Moyen Âge, percé d’une grande verrière flamboyante ; à l’intérieur, point de retables mais un mobilier gothique dont la pièce maîtresse est la Descente de croix, magnifique groupe sculpté de 1517. Cette atmosphère gothique, les siècles suivants l’ont globalement respectée, peut-être par scrupule d’y porter la main. La grande réussite est le porche sud, entièrement en kersanton, remarquable par sa conception et son décor. Si le groupe de la Nativité du tympan est mutilé, les voussures regorgent de feuillages, d’anges et d’épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament. A l’intérieur, les restes de polychromie sont manifestes. Un sommet du gothique breton… mais au milieu du 16e siècle, les habitants de Pencran n’ignorent pas le goût nouveau de la Renaissance, et ils le réservent au premier des apôtres : regardez, à l’intérieur, le dais surmontant saint Pierre ! La Renaissance est donc là, mais elle s’épanouit en dehors de l’église, dans cet ossuaire de 1594 qui dit sans ambages ce qu’il est, en caractères romains et en langue bretonne : chapel da sant Itrop ha karnel da lakat eskern an pobl (chapelle de saint Eutrope et charnier pour mettre les os du peuple). L’enclos comporte aussi deux calvaires : du côté nord, trois fûts s’élèvent au-dessus de l’entrée monumentale. C’est peut-être ici, en 1521, qu’a germé l’idée de la double traverse du fût central, qui permet de multiplier les personnages : elle fera bientôt école dans toute la région. Le côté sud a aussi son calvaire, avec la même figure de Marie-Madeleine.

Enclos de Pleyben

Bien qu’excentré par rapport aux « grands enclos » du Léon, Pleyben offre le même mélange de richesse et de fierté paroissiales. La richesse ici, ce ne sont pas les toiles mais les foires, dont la création, autorisée par Henri II en 1548, précède de peu le début du chantier de l’enclos. La fierté, ce sont les deux clochers accolés : le premier était une flèche gothique très réussie (v. 1550) mais si vite démodée que la génération suivante n’hésita pas à le doubler d’un énorme clocher-porche Renaissance (1588-1642), bientôt imité à Saint-Thégonnec. L’église gothique, avec son chevet aux pignons ajourés, s’entoure ainsi d’adjonctions fastueuses, comme la sacristie à coupoles, en grès vert (1719), inspirée d’un modèle prestigieux de la Renaissance française, la chapelle du château de Villers-Cotterêts. Le calvaire, lui aussi, est monumental. A l’origine (1555), il se situait à proximité de l’église et ressemblait à celui de Plougonven, œuvre des mêmes « ymageurs », Bastien et Henry Prigent. La construction de la tour impose de le déplacer vers 1650 ; à cette occasion, un « architecte » brestois, Julien Ozanne, lui ajoute plusieurs scènes (dont un original Repentir de saint Pierre, à genoux devant un curieux rocher surmonté d’un coq). En 1738, les paroissiens modifient profondément l’esprit du monument en en faisant un arc de triomphe à l’entrée de l’enclos : l’évangile de pierre, replacé en hauteur, est quelque peu sacrifié à la perspective depuis la place, qui deviendra au 19e siècle un très vaste champ de foire. A la même époque, les tombes migrent de l’église vers l’enclos, doté en 1725 d’une porte appelée de façon révélatrice « Porz ar Maro » (porte de la Mort). L’ossuaire gothique se transforme en chapelle (d’où la date de 1733 sur la façade). Quant à l’église, elle déploie les fastes d’un buffet d’orgues et de retables de toute beauté, sans oublier une sablière anonyme mais d’une exceptionnelle qualité d’inspiration et de facture.

Enclos de Pleyber-Christ

Pleyber-Christ illustre bien comment un enclos paroissial évolue, du 16e siècle jusqu’à nos jours, au fur et à mesure que se transforme, autour de lui, un gros bourg très passant. L’enclos a perdu ses tombes et son calvaire, qui ont été transférées au nouveau cimetière à la fin du 19e siècle avant de céder une grande part de sa superficie à la place voisine. Un nouveau mur, construit en 1905-1906, cerne de près l’église ; le monument aux morts de 1921 a pris l’aspect d’une entrée monumentale dont il tient, finalement, le rôle. Quant à l’ossuaire, d’une belle simplicité, il a subsisté malgré un emplacement contraignant : à sa manière, il dit la fidélité à l’enclos des origines. L’église elle-même a accompagné la croissance de Pleyber-Christ au temps de « l’âge d’or » des 16e-17e siècles. La paroisse était favorisée par sa proximité de Morlaix, port d’exportation des toiles, mais aussi par le dynamisme de ses papeteries. A partir de 1551 (construction de la tour), l’église a été sans cesse agrandie jusqu’au début du 18e siècle : il fallait répondre à la croissance de la population et à l’initiative des familles nobles qui multipliaient les chapelles seigneuriales de part et d’autre de la nef. Dans le porche, la belle série des douze Apôtres (1667) est la dernière réalisation de l’atelier de Roland Doré. Au-dessus de la porte, saint Pierre reçoit du Christ la charge de conduire le troupeau : « Pais mes agneaux, pais mes brebis ». Le chevet, issu des ateliers trégorrois, présente un original décor de galettes sculptées, surmontées d’une statue de la Vierge. L’intérieur est riche de plusieurs retables (avec notamment une belle sainte Anne éducatrice) et de sablières récemment restaurées. Mais la fierté de Pleyber-Christ, c’est « ar groaz aour », c’est-à-dire la croix de procession en argent doré (1620), que l’on peut admirer lors des grandes circonstances.

Enclos de Ploudiry

L’ensemble de Ploudiry frappe d’abord par ses dimensions. Un vaste enclos, trois entrées monumentales, une grande église, un spacieux ossuaire : il faut dire que la paroisse était très étendue et englobait, à l’origine, les territoires de La Roche-Maurice, Pencran, La Martyre, Pont-Christ et Loc-Eguiner-Ploudiry. Aujourd’hui encore, son clocher sert de repère à tout le «plateau» environnant et se voit de bien au-delà. Mieux que d’autres, l’ossuaire laisse deviner la fonction qui était la sienne lors de sa construction (1635) : abriter les ossements provenant des tombes de l’église, qu’il était nécessaire de vider périodiquement. Les niches (alors dépourvues de fenêtres) laissaient donc voir les ossements, que les fidèles aspergeaient d’eau bénite. “Bonnes gentz qui par icy passez, priez Dieu pour les trépassez” invite l’ange du bénitier de gauche. A l’étage supérieur, un paysan, une femme, un juge et un noble sont à égalité devant la Mort, personnifiée sous les traits de l’Ankou, squelette armé d’un dard. A Ploudiry comme ailleurs, la mort est très présente dans les mentalités comme dans le quotidien de la population : même en plein âge d’or de la Bretagne, les épidémies font rage, notamment dans ces années 1630. Si le calvaire de l’enclos est modeste, le porche de l’église (1665) varie avec ambition le modèle Renaissance inauguré à Lanhouarneau (1582) et Saint-Houardon de Landerneau (1604). Bien que dépourvu de couronnement, il s’impose par la finesse de sa sculpture et l’originalité de son décor intérieur. On y remarque deux sphynx, thème popularisé par la Porte égyptienne du château de Fontainebleau (1545). Quant à l’église, largement reconstruite en 1856-1857, son architecture neutre met en valeur les deux retables des transepts, œuvre de Jean Berthouloux qui fut dans les années 1650 le premier grand retablier de la région. Et face à la remarquable chaire à prêcher, un ange soutient la tête du Christ dans une très délicate Pietà.

Enclos de Plougonven

Edifié en 1554, le calvaire de Plougonven est le premier grand calvaire réalisé dans la région morlaisienne. Le nœud de la croix centrale porte la signature de Bastien et Henry Prigent, les « ymageurs » qui réalisèrent peu après les parties les plus anciennes du calvaire de Pleyben. De l’Annonciation à la Résurrection, les 19 scènes se lisent dans le sens contraire des aiguilles d’une montre en partant du côté sud – celui de la place – que le calvaire regarde depuis la restauration de Yan Larhantec (1897). A la place d’honneur, saint Yves rend justice au pauvre malgré les objections du riche : hommage de la paroisse à son patron qui est aussi le grand saint du Trégor. On l’ignore souvent : à l’origine, les grands calvaires de notre région étaient revêtus de vives couleurs, tout comme les porches ou les façades de certains ossuaires. Le noir kersanton se parait de différentes nuances d’ocre et de bleu, soulignés par quelques dorures. Toutes ont disparu au fil des derniers siècles, en raison des atteintes du temps et des éléments atmosphériques. Un goût nouveau a fini par considérer que nos calvaires n’étaient jamais plus beaux que dans l’émouvante authenticité de la pierre brute. Quelques recoins abrités, quelques documents d’archives conservaient le souvenir des couleurs… assez pour entretenir le rêve de renouer avec une esthétique oubliée. Non loin d’ici, à Plourin-lès-Morlaix, huit statues du sculpteur Roland Doré ont retrouvé leurs couleurs en 1994 : six d’entre elles sont visibles dans les niches de l’ossuaire. A Plougonven, le peintre Marco di Napoli invite à retrouver par l’imagination les couleurs du calvaire, dont certaines traces étaient visibles à la fin du 19e siècle. La connaissance des pigments anciens, librement interprétés, aide à replacer le calvaire dans l’univers visuel des Bretons du temps : mis en couleur, l’Evangile de pierre est bien le frère de celui qu’illustrent, au même moment, tant de vitraux ou de mystères.

Enclos de Plounéour-Ménez

Jusque dans son nom, Plounéour-Ménez affiche son appartenance à « la montagne » (menez en breton), c’est-à-dire aux Monts d’Arrée dont le point culminant est situé sur le territoire communal (Roc’h Ruz, 385 m.). Ici comme ailleurs, l’enclos paroissial doit beaucoup à la toile : c’est l’apogée du lin qui se devine dans cette grande église reconstruite en 1649-1651 pour recevoir les vivants et les morts d’une très vaste paroisse. Mais l’aimable opulence propre au pays toilier se fait plus sévère aux rudes approches de la montagne. Ici, la puissance l’emporte sur l’opulence. La puissance, c’est peut-être d’abord celle de la pierre. Point de kersanton : le « granite de Plounéour-Ménez », très utilisé dans toute la région, jouit ici d’un monopole presque total. La proximité des gisements a permis de disposer de superbes pierres de taille de grand appareil, pour l’église mais aussi pour toute une partie du mur d’enceinte. La puissance, c’est aussi la porte monumentale (17e s.) dont les deux arches inspirées de Saint-Thégonnec se passent de fioritures. C’est la simplicité du porche, flanqué d’une tourelle d’escalier donnant accès à la chambre des archives, comme on le voit en Trégor. Ce sont les grosses ardoises de montagne qui recouvrent les trois nefs accolées. Et c’est bien sûr l’âpre et forte silhouette d’un grand clocher (1665) qui partage avec son jumeau (et aîné) de Commana l’audacieux pari de se passer de galerie et de clochetons. Si l’enclos a perdu son ossuaire (détruit au 19e siècle), il présente deux calvaires, dont le plus remarquable est situé au dehors, au pied du clocher. Ici, par exception, Plounéour-Ménez a cédé aux grâces du kersanton et au talent de Roland Doré, auteur des statues du croisillon supérieur. A l’étage inférieur, saint Yves a le geste du juge, qui énumère les arguments en les comptant sur ses doigts : il partage avec l’obscur saint Enéour le patronage de la paroisse.

Enclos de Plourin-lès-Morlaix

Arpenter le pays des enclos, c’est rencontrer presque partout Roland Doré, l’un des très rares sculpteurs de pierre dont le nom soit parvenu jusqu’à nous. Parce qu’il a signé quelques oeuvres (Saint-Thégonnec, Commana), parce que son nom apparaît dans quelques archives mais surtout parce que son oeuvre se reconnaît au premier coup d’oeil : des lignes droites et franches, des vêtements aux plis hiératiques et peut-être surtout des visages émaciés, aux yeux en amande. Jusqu’à sa mort, en 1663, l’atelier de Doré à Landerneau a produit des centaines d’oeuvres, taillées dans le kersanton, réparties entre Léon, Trégor et Cornouaille : des pièces d’architecture majeures comme le porche de Guimiliau ; des séries d’apôtres pour les porches (Trémaouézan, Pleyber-Christ…) ; près de 80 croix ou calvaires situés près des églises et des chapelles mais aussi en d’humbles carrefours. Sur les marges trégoroises du pays des enclos, Plourin-lès-Morlaix a eu recours au talent de Roland Doré. Six statues du maître de Landerneau occupent aujourd’hui les niches de l’ossuaire, exceptionnellement revêtues d’une polychromie qui aide à imaginer leurs couleurs d’origine. Les quatre évangélistes, avec leur attribut symbolique, accompagnent deux docteurs de l’Église, Grégoire et Augustin (ou Ambroise). Sept autres statues, dont une Fuite en Egypte, se répartissent entre le mur de l’enclos et l’église. Ce sont les restes d’un calvaire relativement important a construit ici vers 1630 par Doré et qui a été démonté à une date inconnue. Quant à l’église Notre-Dame, elle illustre l’idéal de régularité qui s’impose à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. Il n’y a plus de porche sud, excroissance inutile à l’heure où les notables délibèrent dans la sacristie, Mais il subsiste un grand clocher (1728), inspiré de la tour de Saint-Thégonnec, et l’intérieur de l’église ne contient pas moins de onze retables, occupant le choeur, le transept et les chapelles latérales.

Enclos de Saint-Jean-du-Doigt

Ce qui compte à Saint-Jean-du-Doigt, ce n’est pas le lin : ce sont les foules de pèlerins qui se sont pressées ici, dans le vallon de Traon-Mériadec, pour vénérer la relique du doigt de saint Jean-Baptiste arrivée vers 1400 dans des circonstances que nous ignorons. Dans un enclos qui n’avait point alors de tombes, les foules du pardon pouvaient écouter le prédicateur qui s’adressait à eux depuis la plate-forme (disparue) de la porte monumentale ; elles pouvaient assister à la messe dite dans l’oratoire extérieur ; et elles pouvaient enfin faire leurs dévotions à la magnifique fontaine reliée, sur plus de 300 m, à la source miraculeuse. Bien avant la duchesse Anne, à qui la tradition prête beaucoup, ce sont les libéralités des pèlerins, du clergé et de seigneurs locaux bien placés auprès des ducs qui ont permis d’édifier, à partir des années 1400, ce qui n’est alors qu’une chapelle sur-dimensionnée par rapport au bourg qui l’entoure. Le mérite en revient aussi aux ateliers morlaisiens qui réalisèrent à peu près tout l’édifice, depuis la tour gothique – si élégante avec ses galeries de circulation ajourées et son petit ossuaire – jusqu’au chevet en passant par le porche. En 1576-1577, l’oratoire extérieur témoigne d’un goût tout différent, celui de la Renaissance, mais il est encore dû à un Morlaisien, l’architecte Michel Le Borgne. Et c’est encore un Morlaisien du 16e siècle, l’orfèvre Guillaume Floc’h, qui réalise le fleuron du trésor de Saint-Jean : le grand calice au décor renaissant. Paradoxe en un lieu marqué par le symbolisme du feu, deux incendies (1925 et 1955) ont fait disparaître la flèche et les riches retables, en épargnant heureusement le trésor d’orfèvrerie. Ramenée à la nudité vertigineuse de ses volumes originels, l’édifice se prête avec bonheur à la création contemporaine : depuis 1990, l’ensemble des verrières (80 mètres carrés) a repris vie et sens grâce à l’œuvre de Louis-René Petit.

Enclos de Saint-Thégonnec

Dans la « famille » des enclos paroissiaux, Saint-Thégonnec fait figure de bouquet final. Un bouquet spectaculaire, qui dit la prospérité d’une paroisse qui fut la plus riche du Léon au moment de l’apogée toilier, vers 1670-1680. Les deux clochers, la porte triomphale et tout le décor intérieur (restauré à la suite de l’incendie de 1998) respirent la fierté de toute une communauté, même si les noms qu’on peut lire ici ou là mettent surtout en avant les plus riches : Jean Mazé et Jeanne Inizan, qui commandent en 1625 le beau Saint-Jean du porche à Roland Doré sont un exemple de ces « marchands-fabricants » qui contrôlaient la fabrication et l’écoulement des toiles vers Morlaix. Un bouquet final aussi. Le calvaire (1610), recentré sur une Passion très expressive, est le dernier des grands ensembles léonards. L’ossuaire (1676-1681) peut passer pour un achèvement esthétique par son équilibre et sa symétrie : plus encore qu’à Lampaul-Guimiliau, il invite à la méditation sur la mort, au rythme des inscriptions qui en cernent les murs (point d’ossements ici : ils étaient déposés dans un monument plus modeste aujourd’hui disparu). Quant à l’église, elle aussi va plus loin, c’est-à-dire plus haut : au début du 18e siècle, alors que le déclin de la toile du Léon ne permet généralement plus d’envisager de gros travaux, la prospérité maintenue de Saint-Thégonnec permet de la surélever et d’y faire entrer largement la lumière. Derrière ces chantiers qui furent permanents pendant six générations – une ou deux de plus qu’ailleurs – on devine le souci tenace de suivre au plus près l’évolution des modes : c’est ce qui pousse, dès 1599, à doubler le premier clocher – une flèche gothique encore récente mais déjà démodée – par une magistrale tour Renaissance qui, comme à Pleyben, tient lieu de porche. Une richesse exceptionnelle, une fierté sans complexes, un attrait réitéré pour la nouveauté : c’est à tout cela que tient la «différence» de Saint-Thégonnec.

Enclos de Tréflévénez

Dans l’opulent cortège des enclos léonards, Tréflévénez a de bonnes raisons de ne pas se sentir très à l’aise. Dès l’entrée, un simple calvaire de 1871 ; un ossuaire dont la façade en belle pierre jaune de Logonna (1611) n’a été conservée que de justesse ; une façade composite qui s’orne d’un clocher plus cornouaillais que léonard, avec sa courte flèche sans galerie, dressée sur une chambre des cloches très ajourée ; au flanc méridional, un porche qui n’a jamais dépassé le stade des intentions… Et pourtant, cette église offre bien des richesses que l’on chercherait en vain ailleurs. Dans le bas-côté sud, un tombeau aristocratique frappé des armes des Huon de Kérézellec dit en latin l’amour d’un père pour son fils défunt. Sur le mur voisin, une étonnante peinture de la Crucifixion (1696) a été découverte lors de la dépose du retable du Rosaire : trace d’un premier retable, en trompe-l’œil, qui permettait d’attendre que les finances de la fabrique permettent de s’offrir un vrai. Non loin de là, différents panneaux de bois représentent la « bonne mort » ou rappellent la libération d’un homme fait prisonnier par les Turcs et racheté par l’intermédiaire d’un moine (1721). Près des fonts, sainte Marguerite sort d’un étonnant dragon. Sur la sablière de la nef, on relève deux motifs chers aux charpentiers du 16e siècle : Renart prêche aux poules, une truie joue du biniou… mais l’homme au chapelet n’est pas loin. L’église se distingue également par la délicatesse de ses couleurs : le blanc lait de chaux des maçonneries et le bleu gris du lambris, parsemé de quelques anges, mettent en valeur la polychromie plus vive des cerces de la voûte ou les couleurs de la verrière du chevet (une Passion des années 1560-1570). L’église a conservé deux retables-lambris caractéristiques du 18e siècle, de part et d’autre du bas-côté nord. Au chœur, un petit retable bleu et or rappelle ceux de Sizun et du Tréhou et est sans doute issu des ateliers de Landerneau.

Enclos de Trémaouezan

«An Dre», dit-on en breton : une «trève», c’est-à-dire plus qu’une chapelle mais moins qu’une paroisse. Tel fut avant la Révolution le statut de Trémaouézan. Aujourd’hui encore, le bourg préserve son intimité à l’écart des grandes routes. Et pourtant, c’est ici que fut construit, au début du 17e siècle, un porche monumental rigoureusement comparable aux plus grands de la région, Saint-Houardon de Landerneau ou Guimiliau. Et c’est ici aussi que l’on accueillit, dès les années 1640, l’avant-garde des retables baroques qui allaient se généraliser dans les décennies suivantes. Il fut un temps, en effet, à la fin du 16e et au début du 17e siècle, où Trémaouézan connut une spectaculaire fortune. A l’origine, le culte conjoint de la Vierge Marie (Intron Varia an Dre) et de saint Jean-Baptiste : l’un et l’autre patronnaient une fontaine (la seconde, de 1656, subsiste à 200 m. de l’église). Dans un contexte de ferveur exacerbée par la menace des épidémies, Trémaouézan vit affluer processions et pèlerinages de tous les environs. Le petit enclos gothique, dont le calvaire et l’ossuaire nous donnent toujours une idée, était tenté de voir grand… L’argent ne manquait pas, l’ambition non plus. Dès 1597, l’église est presque doublée par l’adjonction d’une vaste chapelle perpendiculaire, un peu sur le modèle du grand sanctuaire voisin du Folgoët. A partir de 1610, un grand porche Renaissance s’élève au flanc sud de l’église, au risque de la disproportion. Plusieurs indices montrent que l’on cherche l’excellence : l’emploi du kersanton, les colonnes cannelées et baguées conçues par Philibert de l’Orme, les statues réalisées par l’atelier de Roland Doré (Vierge et apôtres), la grave inscription latine sur le solennel fronton… Avec une originalité voulue : la chambre des archives, à l’étage, s’ouvre sur une balustrade qui a pu – comme les grands calvaires de la même époque – servir de lieu de prédication lors des grands rassemblements.